La créativité, une valeur mal comprise et pourtant nécessaire en entreprise

Tout commence par certaines erreurs de conception fondamentales, telles que :

1. La créativité est une dimension exclusivement artistique (ou esthétique).
2. La créativité est un don.

D’où la question suivante :

Qu’est-ce que la créativité ?

La plupart des auteurs qui s’intéressent à la créativité en suggèrent une définition qui reflète différentes perspectives mais partage des points communs. Certaines sont strictement liées au « produit » ou au résultat de la créativité, alors que d’autres se rapportent aux stratégies cognitives sollicitées ou au « processus ». La définition suivante combine ces deux aspects fondamentaux en plus d’ajouter la notion de besoin.

« La créativité est l’habileté de produire un artéfact nouveau, original et utile qui répond à un besoin identifiable, en recombinant d’une manière différente des concepts déjà intégrés. »

Il est donc question d’un processus qui permet d’atteindre un résultat. En clair, le développement des capacités cognitives qui permettent la créativité s’apparente à celui relié à l’acquisition de n’importe quelle habileté ou même compétence. Qu’il s’agisse de danse ou d’ingénierie aérospatiale, il est essentiel d’apprendre avec des experts et de pratiquer encore et encore (et encore) afin d’atteindre un niveau de performance satisfaisant.

Associer la créativité à l’art est donc restrictif et la limiter à un don est élitiste car inaccessible. Picasso, comme Einstein, ont l’un et l’autre consacrés (littéralement) des années à développer leurs compétences dans leur champ de travail respectif. L’un n’est pas né en sachant tenir un pinceau, ni l’autre en connaissant le résultat de 2+2. Par contre ils se sont intéressés à certains sujets, qu’ils ont étudiés et dans lesquels ils ont progressé.

Cependant, créativité n’égale pas innovation. La créativité intervient en amont et l’innovation en est la résultante, sa commercialisation.

La créativité s’apprend-elle ?

Laissons de côté Picasso et Einstein et revenons à la réalité du commun des mortels. Nous avons tous le potentiel pour devenir créatif si l’on accepte de sortir d’une compréhension artistico-innée.

Devenir créatif est possible : comme n’importe quel apprentissage, la créativité se développe par la compréhension et la pratique d’activités de base qui y sont reliées. Il n’est jamais trop tard. La conception trop largement acceptée que, passé 25 ans, nous perdons des neurones (et donc de l’intelligence) est fausse. Les neurosciences ont mis en évidence que les êtres humains sont capables d’apprendre toute leur vie. Qui plus est, apprendre permettrait de repousser le développement de certaines maladies (comme Alzheimer).

En acceptant que la créativité n’est pas un don, mais le fruit d’un labeur, elle redevient accessible. Picasso et Einstein étaient avant tout de grands travailleurs.

Il est vrai que, comme pour beaucoup de caractéristiques personnelles, tels le sens du rythme ou du leadership, notre bagage génétique joue un rôle. Il est toutefois minime : avec une formation adéquate et un environnement encourageant, chacun peut améliorer son potentiel créatif. De façon schématique on pourrait dire : commencez par apprendre à marcher avant d’apprendre à courir.

Donnons deux exemples simples mais parlants.
Pour le premier, pensez à la personne qui doit faire le repas pour quatre un soir de semaine alors qu’il n’y a que quelques ingrédients disparates dans le frigo. Cette personne devra faire preuve de créativité pour servir un plat digne de ce nom. Elle y arrivera si elle a progressivement appris et y a été encouragée. C’est cet apprentissage, cette expérience et la compréhension rudimentaire de la cuisine qui lui permettront d’être créative en cuisine.
Pour le second, mettez-vous à la place des ingénieurs au sol de la mission Apollo 13 qui ont dû en catastrophe élaborer un nouveau système de filtrage, que l’équipe en vol pourrait assembler elle-même, avec les moyens du bord et zéro pièce de rechange prévue à cet effet. Réussir à faire entrer des ronds dans des carrés est pas mal créatif, non? Et s’ils y sont parvenus c’est bien parce qu’ils avaient une connaissance fine des outils et des processus disponibles relatifs à la vie dans une capsule spatiale.

Comment être créatif en entreprise ?

D’abord en comprenant la créativité, comme expliquée précédemment.

Ensuite, en mettant en place des formations adaptées et en créant un environnement qui la favorise. Ce qui implique d’être conscient des pièges à éviter. Il ne suffit pas de dire « sortez des sentiers battus » ou « think outside the box », ni d’organiser un remue-méninges, pour que d’un seul coup les idées brillantes et originales se mettent à couler à flot, telle la bière qui jaillit du fût qu’on vient de mettre en perce.

La créativité est une compétence qu’on peut développer sur le plan professionnel comme sur le plan personnel. Les entreprises doivent la considérer comme le résultat d’un développement à moyen, voire à long terme. Une culture organisationnelle de la créativité devrait donc être instaurée et valorisée de manière systémique, comme pour la bonne santé physique par exemple. Allons au gym pour garder une bonne forme physique et allons au « gym créatif » pour développer notre « muscle » créatif. Cela prend du temps, de la motivation, du dévouement et surtout beaucoup de plaisir à pratiquer.

Voici quelques suggestions pour établir des bases efficaces :

• Comprendre les processus sous-jacents pour se débarrasser des idées préconçues.
• Faire l’apprentissage et la pratique de différentes approches d’idéation (comme SCAMPER, le biomimétisme ou les stimuli aléatoires par exemple).
• S’entraîner à la créativité sans objectif « réel », uniquement pour pratiquer la méthode car la notion de performance (résoudre un enjeu concret de l’entreprise) peut nuire à l’apprentissage de la méthode.
• Rédiger un cahier d’observations (journal personnel d’anecdotes, de conversations, d’images, d’opinions…) permet et favorise le développement de la faculté d’observation ainsi que l’esprit critique nécessaires pour améliorer son potentiel créatif.
• Pratiquer des jeux sérieux entre collègues aide à construire des connexions cérébrales nouvelles qui favorisent la pensée créative (on parle ici de jeux conçus précisément avec cet objectif cognitif).

Un expert peut-il être créatif ?

Au risque de décevoir : oui et non.

Non : l’expertise peut nuire à la créativité. L’expert est persuadé que l’idée ne fonctionnera pas (il sait qu’elle a déjà été essayée ou il a déjà anticipé les impacts possibles, ou son expertise l’empêche d’avoir l’ouverture d’esprit nécessaire pour accueillir des idées nouvelles, etc.).

Oui : l’expertise est essentielle à la créativité car il faut connaitre la boite avant d’aller chercher à l’intérieur ou à l’extérieur de celle-ci pour identifier de nouvelles pistes de solutions.

C’est pourquoi la pratique, combinée à la prise de conscience des biais possibles, est primordiale pour créer les bonnes conditions.

En conclusion

Les recherches sur la créativité ont permis d’établir des modèles et des outils qui peuvent être utilisés dans des programmes de formation. Ils sont donc applicables à n’importe quelle sphère du travail et de l’entreprise. Les organisations peuvent en tirer profit afin de développer les habiletés créatives de leurs employés.

Toutefois il est d’abord important de comprendre l’essence même de ce qu’on identifie comme créatif et surtout pourquoi ça l’est pour nous. Si l’entreprise souhaite créer un réel impact, profond et durable, le développement de la créativité doit constituer une préoccupation continue, au-delà des seuls ateliers de formation, car il n’existe pas de recette miracle.

Si le chemin vers plus de créativité comporte son lot de défis, le jeu en vaut la chandelle car les bénéfices pour l’entreprise sont multiples : cohésion de groupe, efficacité des idéations, meilleur potentiel d’innovation… Bien intégré aux activités de l’organisation, le processus de développement de la créativité est motivant, dynamique, enrichissant et divertissant!

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