Une nouvelle dynamique du processus décisionnel
Prenons l'exemple du processus de gestion des dettes auquel Claire et son équipe sont confrontées. Traditionnellement, l’équipe devait analyser manuellement des volumes importants de données, comme les historiques de paiement, les profils des débiteurs, et les prévisions économiques, pour prendre des décisions éclairées. Claire devait ensuite évaluer les différentes options de recouvrement et choisir la plus adaptée, tout en veillant à rester équitable et humain dans sa démarche.
Aujourd’hui, grâce aux algorithmes d’analyse avancée, une partie de ce travail peut être automatisée. Un algorithme peut analyser bien plus de données qu'un être humain ne pourrait le faire : historiques de paiement, données démographiques, etc. En utilisant ces faits, l'algorithme peut classer les comptes en catégories simples, par exemple rouge-jaune-vert, facilitant ainsi les dossiers à traiter.
Dans cet exemple, un système peut analyser en temps réel les données des débiteurs, identifier les comptes à haut risque et proposer des stratégies de recouvrement optimisées. Cela permet à Claire et à son équipe de se concentrer davantage sur les décisions stratégiques et d’avoir des interactions plus humaines avec les débiteurs, en personnalisant l'approche selon les situations, plutôt que de passer du temps sur des tâches répétitives et administratives.
Ainsi, la technologie permet d’alléger la charge de travail, mais Claire doit aussi s'assurer que son équipe conserve une dimension humaine essentielle, notamment dans les communications avec les clients, afin de maintenir une relation respectueuse et empathique.
L'importance de l'interaction humaine dans un processus automatisé
Si les algorithmes permettent d'automatiser une grande partie du processus, l'intervention humaine reste essentielle à plusieurs niveaux dans le cycle de vie d’une décision.
- Collecte et pondération des données : Les logiciels peuvent assister dans la collecte et l'analyse des informations critiques, mais ce sont les humains qui déterminent quelles données collecter et comment les pondérer.
- Formulation des alternatives : Des modèles analytiques avancés peuvent éliminer les alternatives les moins viables, mais les décideurs doivent être formés à interpréter ces résultats et à utiliser les outils de soutien à la décision.
- Expérimentation et apprentissage : Dans les catégories où une intervention humaine est nécessaire, les résultats d'expériences test-and-learn peuvent améliorer la qualité des décisions. Les équipes doivent identifier quels tests mener et interpréter les résultats.
Les défis de la transformation organisationnelle :
L'intégration des algorithmes dans le processus décisionnel a représenté pour Claire bien plus qu'une simple adoption technologique ; elle a dû conduire une véritable transformation organisationnelle, notamment en prenant en compte les styles variés au sein de son équipe. Par exemple, Monique, qui est très empathique, a tendance à être plus souple dans son traitement des dossiers, cherchant toujours à comprendre les raisons derrière les difficultés des débiteurs. En revanche, Serge, lui, considère que chacun doit assumer pleinement les conséquences de ses choix et applique strictement les procédures, sans dérogation. Cette diversité dans les approches a rendu la transformation encore plus complexe, car il fallait trouver un équilibre dans l’interprétation des décisions par les algorithmes et les sensibilités individuelles de chaque membre de l'équipe.
L'un des premiers défis auxquels Claire a fait face a été de redéfinir les rôles au sein de son équipe. Par exemple, certains collaborateurs, habitués à des tâches répétitives d'analyse de données, ont vu leur mission évoluer vers des fonctions plus stratégiques, nécessitant une interprétation fine des résultats fournis par les algorithmes. Claire a dû composer avec ces différences de style pour s'assurer que les nouvelles technologies soient bien acceptées et utilisées de manière efficace par chacun.
Aussi, les biais cognitifs de ses collaborateurs influençaient également leur capacité à accepter pleinement les recommandations des algorithmes. Par exemple, Monique, avec son empathie naturelle, était souvent sujette au biais de confirmation, cherchant dans les données des éléments qui justifiaient une approche plus flexible et humaine pour aider les débiteurs. Elle avait tendance à privilégier les cas particuliers et à remettre en question les recommandations algorithmiques lorsqu'elles semblaient trop rigides ou déconnectées des réalités humaines qu'elle percevait.
De son côté, Serge, très attaché aux règles et à la structure, était parfois victime du biais d’ancrage. Lorsqu'un algorithme suggérait une action différente des procédures habituelles, il se focalisait sur ses habitudes et sur les premières informations auxquelles il était exposé, refusant de considérer pleinement les nouvelles solutions proposées par l’outil analytique. Il trouvait difficile de sortir du cadre préétabli et d'envisager que l’algorithme puisse offrir une alternative valide.
Pour surmonter ces biais, Claire a mis en place des ateliers de sensibilisation, aidant chacun à prendre conscience de ses propres biais cognitifs et à développer une approche plus critique vis-à-vis des recommandations algorithmiques. L'objectif était de faire comprendre à Monique et Serge que, bien que l'algorithme soit un outil puissant, il devait être utilisé en complément de leur expertise humaine, et non comme une solution unique ou infaillible.
Ainsi, en travaillant sur leurs biais, ils pouvaient mieux naviguer entre intuition humaine et analyse algorithmique, trouvant un juste équilibre dans leurs décisions.
Conclusion
Ce projet avec Claire souligne que l'optimisation du processus décisionnel en entreprise ne repose plus uniquement sur l'expérience humaine ou les seules données disponibles. L'intégration des algorithmes et des analyses avancées dans le processus décisionnel permet non seulement d'optimiser les choix stratégiques, mais aussi de transformer l'organisation. Pour maximiser les bénéfices de cette nouvelle ère de prise de décision, les entreprises doivent adopter une approche systématique qui combine la rigueur analytique des algorithmes et l'intuition humaine, tout en formant leurs équipes aux nouvelles compétences nécessaires tel que la communication, la collaboration et le savoir-agir dans l’incertitude. Prendre une décision est devenu un art que chaque décideur devrait pratiquer.
Grâce à cette démarche, Claire a observé une nette amélioration dans la collaboration au sein de son équipe, avec une confiance encore timide, certes, mais grandissante envers la technologie. Cela met en évidence l'importance cruciale de l'alliance entre l'humain et la technologie pour surmonter les défis organisationnels d'aujourd'hui.
Pour aller plus loin :
Prise de décision : faire les bons choix dans un environnement incertain
Références
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