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Les compétences du futur... Mais dites-moi, c’est quand le futur?

Francoise Crevier
Les compétences du futur... Mais dites-moi, c’est quand le futur?

Cet énoncé m’inquiète toujours et je me demande bien quand ce sera le futur, parce qu’on a des croûtes à manger d’ici là...

Actuellement, la plupart des formations sont faites par des experts et, aussi experts soient-ils, ils ou elles sont presque tous et toutes soigneusement campé·es dans leurs domaines de connaissances. Comment les sortir de là et les amener à faire développer des compétences qui ne sont même pas encore clairement nommées, ni identifiées...

On voit que la marche est haute!

La situation actuelle 

Depuis trop longtemps, quand on demande à un·e expert·e de faire une formation sur un sujet XY, c’est un mandat, une demande, une commande. Mais… pourquoi souhaite-t-on une telle formation? Pour atténuer quel problème? À qui s’adresse-t-on? Comment cela devra-t-il améliorer la performance au travail de la clientèle visée? Quel sera l’objectif d’apprentissage capable d’atténuer le problème? Ces questions, pourtant fondamentales, trouvent rarement réponses.  

L’expert est donc laissé à lui-même, la plupart du temps, et il ou elle commence son travail en faisant une table des matières. C’est la seule façon qu’il ou elle connaît de mettre de l’ordre dans toutes ses connaissances théoriques. Le mot est lâché : les connaissances théoriques de l’expert·e! 

Et quand vient le temps de se demander « comment enseigner », la réponse fuse naturellement : je vais faire une présentation avec beaucoup de questions et des petits quiz! Dès lors, les dés sont jetés : on commence avec une table des matières regroupant des connaissances théoriques, qui devient une présentation à faire devant un groupe. Et on espère que cela va atténuer le problème qui, lui, est presque toujours opérationnel. C'est un peu comme de penser qu'un TedTalk sur la plomberie va vous aider à colmater votre fuite d'eau. 

Vraiment, on frappe sur le mauvais clou... 

Pourtant la solution est connue depuis 40 ans... 

Depuis plus de 40 ans, les chercheurs et les chercheuses1 nous disent qu’il faut analyser la situation de travail, décrire les tâches que les travailleurs et les travailleuses doivent réaliser, et les former à faire ces tâches le plus efficacement possible. C’est logique et c’est prouvé.  A-t-on fait des pas dans ce sens?  
Oui, on voit des progrès chez les « initié·es », ceux et celles qui s’intéressent à l’andragogie, qui ont étudié dans le domaine et qui sont sensibles à la nécessaire efficacité de la formation. Mais cette approche centrée sur la tâche ne semble pas percoler jusqu’aux expert·es qui, eux, continuent à privilégier les connaissances théoriques (dite déclaratives) au détriment de la tâche (les connaissances procédurales). Et pendant ce temps, les conseillers en RH recherchent invariablement des formations qui vont aider les équipes à mieux travailler! Comment sortir de cette boucle sans fin? 

En 2024, on n’arrive même pas à créer, à grande échelle, des formations centrées sur les “Comment” (colmater la fuite d’eau), qui remplaceraient toutes ces formations basées sur les “Quoi” (la plomberie) ! Les progrès sont lents, trop lents, malgré les résultats de recherche et les recommandations des spécialistes en andragogie.  

Devant l’inefficacité de nombreuses interventions en entreprises, on devrait, à tout le moins, se questionner sur deux points :  

  1. La méthode de sélection des connaissances. 
  2. Les méthodes de diffusion. 

Trop souvent, on vaporise des connaissances théoriques dans une classe et on espère que cela donne des résultats! C’est ce qui a inspiré le commentaire plutôt lapidaire de M. David Merrill : « Spray and pray ». 

Et les compétences du futur? 

C’est déjà tout un exercice de passer de formations centrées sur les connaissances déclaratives (les Quoi) à des formations basées sur des connaissances procédurales (les Comment), et maintenant on veut développer les compétences du futur? Va falloir y mettre de l’énergie et des efforts pour y arriver. 

Il y a pourtant des pistes de solution, des grands principes qu’on pourrait mettre en place :  

  1. Accepter la réalité: une compétence ne se développera jamais en écoutant un expert la décrire. Une compétence est un objet cognitif très complexe qui prend des années à se développer, à s’installer et à se peaufiner. Aimeriez-vous être opéré·e par un·e chirurgien·ne qui vient juste de terminer une formation intense et théorique? 
  2. Formuler des objectifs d’apprentissages clairs et opérationnels, qui ont été rédigés pour répondre à des besoins de l’organisation et qui devront ensuite structurer les activités d’apprentissage à concevoir. 
  3. Encadrer les experts, et je vais le dire crûment, leur rappeler qu’autant ils sont forts dans leur domaine d’expertise, autant ils ont besoin d’aide en andragogie. 
  4. Former et engager des andragogues et des spécialistes en ingénierie andragogique pour travailler en tandem avec les expert·es. 
  5. S’assurer d’un engagement fort de la direction et d’un soutien de tous les instants afin d’amorcer ce changement de paradigme. La direction doit admettre qu’une activité de formation nécessite un encadrement: en amont, on doit préparer l’activité et sélectionner les solutions d’apprentissage les plus porteuses et, en aval, on doit faire des suivis pour ancrer les nouveaux apprentissages dans les processus de travail. 
  6. Autre effort important de la direction: admettre que même si le rythme de travail est de plus en plus rapide, nos cerveaux apprennent toujours lentement et il faut du temps pour que la connaissance s’installe. Et pour les compétences, c’est encore beaucoup plus long! 

En suivant ces six principes, nous nous doterons vraiment d’événements d'apprentissage qui feront une différence. Ceux et celles qui participeront pourront développer des compétences ou acquérir les habiletés non seulement pour leur épanouissement professionnel, mais aussi pour l’amélioration de la performance de leur entreprise.  

Et c’est ainsi qu’enfin les choses changeront et que nous serons efficaces dans nos activités de formation, qu’elles soient synchrones ou asynchrones, en présence ou à distance.  

Je ne peux m’empêcher d’y rêver. 

Pour aller plus loin :  

Formation synchrone : concevoir des environnements d’apprentissage engageants

 

[1] Les lecteurs et lectrices pourront consulter, notamment, les travaux de M. David Merrill, de Charles M. Reigeluth, de Bruce Joyce et Marsha Weil.

Photo de Andrés Gómez sur Unsplash

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