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Portrait de formateur

Les meilleurs formateurs savent rester dans l’ombre

Francoise Crevier
Les meilleurs formateurs savent rester dans l’ombre

En plein air, un amphithéâtre est rempli d’adultes avides d’apprendre. Au centre, un érudit enseigne. Mais cet homme parle peu et questionne beaucoup. En réalité, il fait avancer, pas-à-pas, la réflexion de ses auditeurs. Il fait naître la connaissance. On est en Grèce, en 430 avant J.-C. et cet érudit, ce philosophe se nomme Socrate.

Et 26 siècles plus tard, on n’a rien retenu de ce formateur exceptionnel et on enseigne toujours plus, à des adultes qui pourraient, pourtant, construire eux-mêmes de nouvelles connaissances.

Pourquoi enseigner moins?

Trop enseigner nuit parce que le cerveau de celui qui sait, l’expert, envahit tout l’espace de réflexion du groupe. L’expert est aux commandes et il ne laisse pas aux apprenants le privilège d’hésiter, de chercher, de discuter, de faire des erreurs, d’avancer ou de découvrir. Bref, il ne laisse pas apprendre. Il essaie plutôt de pousser ses connaissances dans les têtes en supposant que ça va entrer, s’encoder, s’installer. Soyons réalistes, les apprenants ne retiennent que des pépites de tout ce qu’on tente de leur enseigner.

Les neurosciences ont démontré qu’un cerveau qui écoute attentivement ne peut pas réfléchir en même temps. On ne fait pas de multitasking et il faut choisir entre écouter ou réfléchir. Idéalement, les apprenants devraient lever la main pour que le formateur fasse une pause leur laissant ainsi le temps de réfléchir. Alors que reste-t-il vraiment des heures de formation passées à expliquer? Des pépites...

Comment enseigner sans enseigner?

Il faut modifier le déroulement d’un cours. Supposons que votre contenu se répartit en quatre blocs, pour chaque bloc, vous pourriez organiser trois phases d’une durée à peu près égale : (1) divergence, (2) convergence, (3) apaisement.

  1. Phase de divergence : cette première période, se passe en équipes sans intervention du formateur. Vous leur proposez une activité qui va bousculer les cerveaux, créer un déséquilibre cognitif, les forcer à réfléchir, à discuter entre eux, à s’ouvrir à d’autres idées. Le formateur peut clarifier le travail à faire, mais il n’enseigne pas, il laisse la connaissance se construire. Et s’ils font des erreurs? Tant mieux, c’est la voie royale vers l’apprentissage.

  2. Phase de convergence : maintenant qu’il y a de l’effervescence dans tous les cerveaux, on revient en groupe pour recueillir le fruit de leurs recherches. On ne cherche pas nécessairement un consensus, mais on veut plutôt leur laisser la chance de s’exprimer et de confronter leurs découvertes. Ici, le formateur n’est qu’un guide qui aide à l’organisation des connaissances du groupe.

  3. Phase d’apaisement cognitif : maintenant que les cerveaux sont stimulés, encore déstabilisés et que l’apprentissage est très avancé, c’est le moment de les apaiser, d’apporter un réconfort cognitif. C’est enfin le moment d’enseigner! Vous enseignerez moins parce qu’ils ont fait la plus grande partie du travail et votre intervention prendra plutôt la forme d’une synthèse, d’une discussion. Vous pourrez vérifier leur compréhension, apportez des précisions et leur proposer des trucs d’expert.

Quelles sont les conditions de réussite?

Il y a trois conditions essentielles :

  1. Concevoir une activité signifiante pour les participants,
  2. Abandonner ses interminables diapositives PowerPoint
  3. Changer de posture pédagogique.

Le formateur doit travailler en amont pour créer une activité propice au travail d’équipe et à l’émergence des connaissances. Ça pourrait être un problème difficile à résoudre, une mise en situation délicate à interpréter, un clip vidéo à commenter, une étude de cas relativement complexe; il doit y avoir un défi. Les possibilités sont nombreuses, mais l’essentiel est de proposer un travail qui va permettre de débuter la mise en place des connaissances à intégrer. Ce travail est crucial pour provoquer les cerveaux et les mettre à la tâche.

Quant au formateur, il doit changer de posture. Il abandonne ses diapositives et il amorce un réel échange avec les participants. À la manière de Socrate, il crée un environnement qui fait naître les connaissances, il guide les équipes et le groupe sans enseigner et sans mettre ses connaissances de l’avant; puis, quand le groupe arrive au bout de son chemin, alors il peut stabiliser les connaissances et jouer son rôle d’enseignant dans la 3e phase.

Il faut beaucoup de confiance et de générosité pour laisser apprendre. Mais quel est notre rôle finalement en tant que formateur : provoquer l’apprentissage ou faire étalage de nos connaissances d’expert?  

Finalement, on enseigne toujours trop, et trop tôt!

Pour aller plus loin : 

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